Nous nous situons dans le contexte d'une démarche de recherche d'idées. On se propose d'utiliser des "planches projectives", c'est-à-dire des images soit figuratives, soit abstraites, soit réalisées par soi-même (dessins, collages), dans le but de produire des idées. 1) Mode d'emploi
La démarche est la suivante : - 1) Imprégnation : j'ai un problème de recherche d'idées en tête, je suis obsédé par la recherche de la solution, j'ai en tête les contraintes objectives du problème qui m'obsède; 2) Phase 2 : l’éloignement (divergence) Par ailleurs, j'ai devant les yeux des images que l'on me propose et je dois m'en inspirer (voir ci-dessous nos collections d'images projectives, abstraites et figuratives). Parcourez les photos devant vous. Concentrez-vous sur l'image, explorez-la en faisant librement des associations d’idées, sans vous demander où elles vont : " Cela vous fait penser à....", "Vous voyez quoi ?..." et quoi d’autre ? … et encore, et encore...Ces images sont un point de départ de rêveries. Et puis de fil en aiguille, improvisez. Notez, notez, notez ce qui vous passe par la tête. 3) Phase 3 : la connexion Réintroduisez le problème en vous demandant : «quel rapport entre les associations étranges que je viens de faire sur cette image et mon thème de recherche d'idées? ". "cela me suggère quelles idées…". Imaginez que la solution à votre problème est cachée dans cette image . Je dois trouver des idées en regardant ces images, je dois faire comme si "les solutions étaient cachées dedans" (un peu comme dans ces devinettes d'enfant où l'on vous dit : cherchez l'objet qui est caché dedans). Entre les deux, (le problème et les images) je dois établir une connexion. Ce choc entre deux champs totalement hétérogène fait "dérailler" la mécanique associative, produit un phénomène de chaos, susceptible de donner naissance à des idées. Important, le problème doit être présent à votre esprit pendant cet exercice de divergence : écrivez sa formulation et fixez-la au mur. Conseil de pro. A l'inverse des techniques "rapides", comme le brainstorming), c'est une technique "lente", "sensible" : ne cherchez pas des idées "finies", immédiatement. Chercher des "ébauches d'idées", des "pistes d'idées". Plus tard vous finaliserez… 2) Théorie : Pour savoir plus sur le principe des méthodes projectives
On utilise couramment le terme "projectif" dans le domaine de la créativité : (techniques "projectives", "planches "projectives, etc. Ce terme est issu de la psychologie clinique où il a un sens différent, voire opposé, de celui qui est utilisé en créativité. Il convient donc de préciser le sens de ce mot. 1) Le mot "projectif" dans le contexte de la psychologie clinique. Il est utilisé de longue date pour décrire la parenté de trois tests[1] : le test d’association de mots de Jung (1904); le test de Rorschach (1920), ou test des taches d’encre; le T.A.T, (Thematic Aperception Test : Murray, 1935). Ces tests se différencient des autres par le côté ambigu du matériel et par la liberté totale des réponses accordée au sujet . Ils sollicitent donc le mécanisme de "projection". Qu’est-ce que la projection? Ce mot a plusieurs sens : 1) Le sens 1er, renvoie à une action physique: on projette de l’eau, de la peinture; projeter signifie donc : lancer, éclabousser. Par analogie, Freud s’est servi de ce terme pour désigner une action psychique particulière: celle d’expulser de la conscience ou de soi des sentiments qu’on ne peut supporter reconnaître comme siens et de les attribuer à autrui. 2) Le 2ème sens est emprunté aux mathématiques: la projection consiste à faire correspondre à un point ou à un ensemble de points, appartenant à l’espace, un point ou un ensemble de points d’une droite ou d’une surface. 3) Le 3ème sens est dérivé de l’optique. Il s’agit d’envoyer à partir d’un point, appelé le foyer, des rayons sur une surface. C’est le cas de la projection cinématographique. En psychologie générale : les méthodes projectives sont des tests qui visent à évaluer les conduites et les processus psychiques d’un sujet. Ce sont des tests de personnalité : le but est de comprendre le fonctionnement psychique du sujet, les conflits, les modes défensifs, les potentialités de changement, les ressources et les défaillances. C’est pour cette raison que les techniques projectives apportent leur concours à l’étude psychopathologique du sujet. Parmi les différents tests projectifs, on distingue : les méthodes dites "constitutives": il s’agit de structurer un matériel non figuratif (c’est le cas du Rorschach considéré comme un test structurel); les méthodes "interprétatives": on interprète un stimulus (c’est le cas du TAT considéré comme un test thématique); les méthodes "créatives": par exemple on dessine selon une consigne particulière (une famille, un arbre etc.); les méthodes "constructives" : on élabore une construction structurée (test du Monde). A quoi ça servent les méthodes "projectives, dans le contexte de notre métier particulier d'animateur de créativité : Nous n'utilisons pas les "méthodes projectives" au sens décrit par les psychologues. On ne vise pas à évaluer" les conduites et les processus psychiques d’un sujet". Notre objectif n'est pas de "dévoiler". Nous ne cherchons pas à interpréter le contenu des "idées" émises par les participants. A l'inverse, notre déontologie est basée sur le principe : "on n'interprète pas". Ce qui nous intéresse c'est la qualité des idées émises par rapport à l'objectif ("nous cherchons des idées pour tel sujet") et nous refusons de savoir pourquoi elles ont été émises. Donc, en utilisant dans nos séminaires des "images projectives,quel mécanisme utilisons nous ? La passation des images requiert en fait trois types d’activité : - Une activité perceptive: le sujet est devant un stimulus sur lequel il doit s’appuyer : c'est quoi? - Une activité cognitive : la présentation des planches est autant d'hypothèses qui soulèvent des questions; - Une activité "projective": ce qui est perçu va faire écho à l’intérieur de soi et c’est cela que le sujet va devoir restituer. Les réponses vont donc rendre compte de ce que l’activité perceptive sollicite de profond, d’inconscient et qui est "projeté" sous formes d’images et d’associations. Le sujet s’appuie sur ce qu’il perçoit et qui est réel. Mais on ne lui demande pas de décrire ce qu’il voit, on lui demande de dire «à quoi cela lui fait penser». Ainsi il doit se laisser aller à sa fantaisie Mais quel est le mécanisme psychologique utilisé et en quoi est-il "projectif" ? La citation suivante, de Léonard de Vinci, illustre très précisément le principe de la technique projective : «Tu dois regarder certains murs tachés d’humidité. Tu pourras y voir la ressemblance de divins paysages, ornés de montagnes, de ruines, de rochers, de bois, de grandes plaines, de collines et de vallées, d’une grande variété. Tu y verras aussi des batailles et des figures étranges, dans de violentes actions, des expressions de visages et de vêtements, et une infinité d'autres choses, parce que l'esprit s'excite parmi cette confusion, et qu'il y découvre plusieurs inventions. » Nous nous situons dans le contexte d'un groupe de recherches idées. L'animateur nous propose d'utiliser des "planches projectives", (des images soit figuratives, soit symboliques, soit abstraites, soit réalisées par soi-même), dans le but de produire des idées. Nous appuyons ici sur la métaphore du professeur Anzieu[2] que nous avons simplifiée : -"je suis un appareil projectif, je peux projeter "l'intérieur de ma personnalité" Ici, à l'inverse, l'objectif n'est pas de projeter "l'intérieur de ma personnalité": L'objectif est le suivant : - j'ai un problème de recherche d'idées en tête, je suis obsédé par la recherche de la solution, je dois, avec mon appareil projectif, projeter les contraintes objectives du problème qui m'obsède et chercher des pistes de solution; - par ailleurs, j'ai devant les yeux les images que l'on me propose et je dois m'en inspirer. Je dois trouver des idées en regardant ces images, je dois faire comme si "les solutions étaient cachées dedans" (un peu comme dans ces devinettes d'enfant où l'on vous dit : cherchez l'objet qui est caché dedans). En fait, les images que l'on me propose ne sont pas des éléments factuels "objectifs", qui seraient "vus" de la même manière par tout le monde. Ce sont des images que je déforme, en fonction de mon inconscient, d'une manière tout à fait subjective. Ce qui est "projectif", c'est la déformation particulière que j'apporte à ce matériel visuel. On me fait voir une porte en bois : je "vois" peut-être à travers mon prisme, une porte de château ou une porte de prison... Il y a donc deux acteurs dans la démarche : - les éléments du problème que je porte, - et le support, déformé "par mes pensées secrètes" qui devient "projectif". Entre les deux, je dois établir une connexion, comme dans toutes démarches créatives. Finalement, ce que je décris c'est une démarche de "croisement forcé" technique que tous les animateurs créatifs connaissent bien qui consiste à établir un lien forcé entre les éléments de mon problème et un autre élément qui n'a aucun rapport. Alors que toutes les associations s'établissent soi-disant "librement", "au hasard", mais sont, en fait, reliées par un lien soit logique soit par un lien inconscient, le croisement "forcé" c'est un lien qui, par définition, arbitrairement, "n'a aucun rapport". Ce choc entre deux champs totalement hétérogène, fait "dérailler" la mécanique associative, produit un phénomène de chaos, susceptible de donner naissance à des idées. Le véritable nom des ces techniques projectives devraient donc plutôt être : la méthode "des croisement projectifs" (comparée et opposée à la méthode des croisements forcés) Par rapport au croisement forcé aléatoire, c'est une méthode a priori beaucoup plus riche. - Alors que la méthode associative classique va plutôt dans le sens de résultats "connus", "existants déjà"; - alors que la méthode des croisement forcés aléatoires est susceptible des produire des résultats chaotiques, hasardeux, - la méthode des "croisement projectifs" a des chances de produire des résultats "enrichis" par la nature du contenu des supports proposés. Encore faudrait-il distinguer le type des supports proposés à la projection. Il est évident que la qualité de la production dépend de la nature de ces supports : figuratifs ? abstraits ? Exemple. Il faut signaler l'étude passionnante effectuée par notre collègue Natacha Dagneaud[3]. Sa recherche visait à comparer différents types de matériel projectifs [4]: • 1) Un set d’images composé de représentations concrètes et figuratives (proposées par le professeur Geschka), • 2) Un set d’images composé de représentations abstraites et de motifs flous (collection Guy Aznar), • 3) Un set d’images composé d’images du quotidien (sous forme de collage d'images issues de la presse magazine). Problème d'exercice Proposé par Natacha Dagneaud : : "Pensez à un pommeau de douche idéal". Consigne « Regardez ces images et laissez-vous vous en inspirer afin de trouver des idées» Principaux résultats : 1) supports projectifs figuratifs : Résultats : productions d'idées techniques, focalisation sur le résultat, sur la dimension pratique de la douche (ex : un pommeau robuste, antidérapant, doit être maniable, une mécanique fine, pas si grossier/ doit bien pouvoir nettoyer le sable dans les cheveux des enfants, atteindre le cuir chevelu/ des rainures sur le manche » etc.) 2) supports projectifs abstraits: Résultats : proposition d'idées en rupture, provocantes, originales, fantasmes. (Ex : « un pommeau avec de l’autobronzant intégré/ avec des huiles essentielles/ on peut aussi faire de l’acupuncture/ / avec de l’eau pétillante qui sort du pommeau/ versions spéciales pour les hôtels spa ou bien les sex-shops/ le pommeau de douche illumine/ explosif, stimulant/ un pommeau de douche équipé de lumières / des images sonores, ça pulse, de la vapeur chaude sort du pommeau de douche/ on est encerclé de brume fine » 3) supports projectifs auto réalisés ( par collage). Résultats : focalisation sur le bénéfice personnel lié à la douche « plaisir et sensualité à travers le pommeau de douche/ l’eau qui coule me donne "des papillons dans la ventre"/ l’eau devrait sortir de façon douce mais quand même forte/ qui soit chaud quand on l’attrape, pas de métal froid/ un parfum que l’on peut choisir et activer/ le pommeau apporte une joie de vivre débordante » Conclusion : Comme on le voit, les résultats sont orientés très différemment selon le type de supports projectifs proposés.
[1] «Techniques» ou «Méthodes» projectives sont des expressions employées dés 1939 par L. K. Franck dans un article du Journal of Psychology [2] «le test projectif est comme un rayon X qui, traversant l’intérieur de la personnalité, fixe l’image du noyau secret de celle-ci sur un révélateur (passation du test) et en permet ensuite une lecture facile par agrandissement ou projection, sur un écran (interprétation du protocole). Ce qui est caché est mis en lumière, le latent devient manifeste; ce qui est stable et noué se trouve dévoilé». [3] Natacha Dagneaud est une française qui dirige une société d'étude en Allemagne, spécialisée en innovation et créativité. Elle est intervenue dans le colloque Créa Université et à cette occasion elle a réalisée l'étude citée ici. contact@seissmo.com [4] Il faut noter qu'il existe différentes collections de supports projectifs : les collections de Isabelle Jacob; les collections de Stéphane Ely; la collection Guy Aznar, etc.
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